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1922, à Beuzec Conq, école du Lin - Laïcité Aujourd'hui

1922, à Beuzec Conq, école du Lin

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Le 18 octobre 1922, la directrice de l’école publique du Lin, en Beuzec Conq, contacte l’Autonome. Une plainte a été déposée contre elle auprès du préfet par un puissant hobereau local. Elle est accusée d’avoir « abusé de la simplicité et de l’ignorance d’une pauvre mère, en la menaçant de lui supprimer les secours de l’Office des Pupilles si elle retirait ses enfants de l’école publique pour les mettre à l’école privée »

1922 - 1925

Mise en cause de la probité d’une enseignante

Le 18 octobre 1922, la directrice de l’école publique du Lin, en Beuzec Conq, contacte l’Autonome. Une plainte a été déposée contre elle auprès du préfet par un puissant hobereau local. Elle est accusée d’avoir « abusé de la simplicité et de l’ignorance d’une pauvre mère, en la menaçant de lui supprimer les secours de l’Office des Pupilles si elle retirait ses enfants de l’école publique pour les mettre à l’école privée » .

Le 2 novembre, l’Inspecteur d’Académie est saisi ; il promet une enquête administrative dans les plus brefs délais.

L’enquête ayant été favorable, la directrice obtient une décision de non lieu et entre en possession de toutes les pièces du dossier.

La plainte stipulait qu’une mère « avait voulu envoyer ses enfants à l’école privée, qu’ils s’y étaient même rendus un jour, mais qu’elle les avait replacés à l’école publique, la Directrice de cette école l’ayant menacée d’être privée de toute subvention de l’Office pour ses enfants Pupilles si ceux-ci fréquentaient l’école privée. », d’autant qu’elle « était devenue propriétaire de sa maison » sans en avoir averti l’Office. Le signataire invoquait un abus d’autorité, une loi dénaturée et l’exploitation d’une pauvre mère, simple et ignorante.

La faute était si grave qu’il y avait lieu de « saisir le public par la Presse » afin « que d’autres ne tombent pas dans de pareils errements ».

La justice est saisie de l’affaire.

Après de longs mois d’attente, la directrice obtient satisfaction entière.

Le bureau de l’Autonome signale « la grande ténacité de notre collègue pour surmonter les mille difficultés qui rebutent souvent de grandes énergies ; l’empressement de M. Le Préfet et de M. l’Inspecteur d’académie à satisfaire à ses demandes, et particulièrement l’heureuse intervention de M. Le Bail qui n’a ménagé ni son temps ni sa peine pour défendre éloquemment une maîtresse laïque, et avec elle l’école laïque. »

Le jugement :

Par son jugement en date du 20 juin (1924), le tribunal civil de Quimper condamne le plaignant « à payer à la directrice de l’école du Lin, en Beuzec-Conq, une somme de cent francs de dommages - intérêts pour dénonciation téméraire portée par lui contre cette dernière.
Il est, en outre, condamné aux dépens
 ».

En appel

L’affaire est portée devant la cour d’appel de Rennes.

Celle-ci statue le 11 mars 1925.

"Un arrêt intéressant de la Cour d’appel de RENNES : Un Vice-Président cantonal des Pupilles de la Nation contre une Directrice d’ Ecole publique".

Voici le texte de l’arrêt rendu par la cour d’appel.

"Considérant que, par lettre adressée à M. le Préfet du Finistère, le plaignant dénonçait la directrice de l’école de Beuzec-Conq, comme ayant commis un acte blâmable d’abus d’autorité et de pression sur une dame F. qui avait retiré ses enfants de l’école laïque pour les placer à l’école libre, « La directrice avait menacé Mme F. de faire retirer les allocations données à ses enfants comme pupilles de la Nation, la directrice avait abusé de l’ignorance et de la simplicité d’une pauvre mère et avait commis une faute grave en faisant pression sur la conscience d’une mère ;

Par une seconde lettre du 28 Octobre 1922, le plaignant accusait la directrice d’avoir terrorisé Mme F. et d’avoir obtenu ainsi une rétractation de ses déclarations ;

Le plaignant, sans nommer, il est vrai, Mme La directrice, répéta ces accusations dans un article du journal Le Progrès de l’Ouest du 7 Octobre 1922 ;

Mais considérant que l’enquête administrative très complète et très documentée, à laquelle a procédé le Secrétaire général de l’Office départemental, n’a établi à l’encontre la directrice aucun acte de pression ; qu’il est seulement constaté que la dame Le P., ayant appris que les enfants de la dame F. avaient quitté son école, demanda, comme c’était son droit, des explications à la mère ;

Que la Cour ayant cru devoir, pour éclairer complètement sa religion, faire procéder à une enquête judiciaire, un seul témoin, M. G., veuve S., a, déposant en breton, fait la déclaration suivante relative aux actes de pression reprochés à la directrice :

« Le 27 Septembre 1922, je me trouvais chez moi, au rez-de-chaussée de la maison, lorsque, à travers le plancher, j’ai entendu Mme La Directrice dire à Mme F. que ce n’était pas bien d’avoir retiré ses enfants de l’école pour les envoyer chez les sœurs à Concarneau, d’autant plus qu’elle avait fait pour elle des démarches pour faire admettre ses enfants au nombre des pupilles de la Nation » ;

Que, sur interpellation, ce témoin a ajouté : « J’ai entendu Mme La Directrice dire à Mme F., en descendant l’escalier, que si elle ne renvoyait pas ses enfants à son école, elle lui ferait supprimer l’allocation des pupilles », ces propos étant dits en français ;

Qu’il y a lieu, pour apprécier cette déposition, de relever les circonstances suivantes :

1°) Le témoin ne connaît pas ou connaît mal le français. Il a déposé en breton avec un interprète ;

2°) Les propos rapportés ont été entendus à travers le plancher, ou pendant que les personnes qui causaient descendaient l’escalier ;

3°) Le premier témoin de l’enquête, qui a entendu les mêmes propos, dit que la conversation a eu lieu en breton.

4°) La sœur M., du dispensaire, a eu soin de questionner les témoins et de rechercher ce qu’ils pouvaient dire :

Ces conditions sont évidemment de nature à faire écarter complètement la déposition d’un témoin aussi suspect.

Par conséquent, les accusations portées contre la directrice ne sont pas prouvées.

Il est constant, au contraire, que le plaignant, qui pouvait facilement se renseigner avant d’agir, a cru pouvoir porter plainte contre une institutrice honorable et estimée, qu’il connaissait, sur la déclaration d’une femme comprenant mal le français, qu’il dit lui-même, simple et ignorante ; que cette femme n’est pas venue le trouver spontanément, mais conduite en voiture par Mme G. J., sœur M. de l’ E., dont il pouvait craindre le zèle religieux, excité, sans doute, par les meilleures intentions :

Que, en procédant, avec une pareille légèreté, sans réflexion, le plaignant a commis une faute dont il doit réparation.

Que si les parents sont absolument libres d’envoyer leurs enfants à l’école dont l’enseignement répond à leurs aspirations ou à leurs croyances, les instituteurs à quelques écoles qu’ils appartiennent doivent être protégés contre des attaques passionnées, irréfléchies et injustifiées.

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges,

La Cour

Confirme purement et simplement le jugement dont appel rendu par le tribunal civil de Quimper le 20 Juin 1923 ;

Condamne l’appelant aux dépens et à l’amende."

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La directrice a fait don de la somme à la société antituberculeuse.

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Sources :

Le Progrès du Finistère n° 815

Archives de l’Autonome de Solidarité du Finistère

Le citoyen n° 25 du 21 juin 1923 et n° 12 du 19 mars 1925

Le progrès de l’Ouest du 7 octobre 1922

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