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La burqa : faut-il se voiler la face ? - Laïcité Aujourd'hui

La burqa : faut-il se voiler la face ?

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Au-delà de l’émotion particulière que suscite en chacun d’entre nous la rencontre avec une femme intégralement voilée, comment appréhender la question ? Quelles réponses possibles ?

Pour la réunion du 16.09.09

Le sujet a fait irruption sur la place publique par différents canaux :

- D’abord, l’augmentation visible du nombre de femmes, souvent jeunes, portant une burqa ou un niqab.

- Récemment, la création d’une commission d’enquête parlementaire composée de 32 membres de différents groupes (17 députés UMP, 11 socialistes, 2 Nouveau centre, 2 Gauche démocrate et républicaine), et présidée par le député-maire André Gérin. La demande de commission était soutenue par une centaine de parlementaires.

- Et puis la prise de position du Président de la République, le 22 juin, devant les parlementaires réunis en congrès à Versailles. Il a affirmé que la burqa n’était « pas la bienvenue sur le territoire de la République », qu’il n’y voyait « pas un signe religieux », mais « un signe d’asservissement, d’abaissement » de la femme.

Avant que nous en discutions, je vais vous proposer quelques pistes pour aborder le sujet.

Les approches sont multiples et souvent complexes : au-delà des sentiments que cela suscite, la raison nous oblige à passer par une lecture autre : lecture qui peut être religieuse, constitutionnelle, politique, sociétale, philosophique, et peut-être psychologique…

Précisons d’abord certains termes et certaines données :

La burqa est un voile qui recouvre entièrement le corps de la femme, avec une grille qui dissimule le regard.

Le niqab est un voile qui cache le visage et laisse juste une ouverture pour les yeux.

Un autre vêtement existe : le hijab ; il laisse voir le visage mais couvre la tête, le cou et parfois les épaules.

Le tchador est une grande pièce de tissu posée sur la tête, laissant apparaître l’ovale du visage. Les hommes le portent également.

Selon les chiffres publiés par la sous-direction de l’information générale, en juillet 09, moins de 400 musulmanes - 367 précisément - porteraient le voile intégral en France (niqab ou burqa). En septembre, A. Gérin, s’appuyant sur un rapport confidentiel du ministère de l’Intérieur, annonçait plus de 2000 femmes…

Alors, simple effet de visibilité ou pas ?

Et puis, s’agit-il d’une affaire de nombre, ou de principe ?

1) La première idée qui vient à l’esprit : c’est l’aspect religieux : ces vêtements expriment d’abord une appartenance à une religion.

A quelle recommandation du Coran répond le port de la burqa et du niqab ?

Il semble qu’il y ait de sérieuses divergences à ce sujet au sein du monde musulman ……

Il faut savoir que les plus hautes autorités religieuses musulmanes ont déclaré que les vêtements qui couvrent la totalité du corps et du visage ne relèvent pas du commandement religieux, mais de la tradition wahhabite, comme en Arabie Saoudite, ou pachtoune comme en Afghanistan/Pakistan.

Les sourates 33 et 24 donnent simplement des conseils de non exhibition du corps.

De même, la majorité des croyants musulmans trouve injustifié le port du voile intégral. Le philosophe musulman, Abdennour Bidar est sur cette position (le Monde du 30 juin 09), de même que le président du C.F.C.M., Dalil Boubakeur.
Le philosophe Bidar va plus loin, il parle de pathologie religieuse.

D’où la question : Le débat ne doit-il d’abord pas être tranché par la communauté islamique ? Auquel cas, la République a-t-elle à y prendre part ?

2) Une deuxième lecture :
L’aspect constitutionnel, avec le trouble à l’ordre public.

Voici les textes : selon la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».

La loi de 1905 enracine ce principe dans les institutions.

Les constitutions de 1946 et de 1958 le confirment : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale »

a) Premier point : Le régime laïque de droit commun autorise le port de signes religieux en privé et en public, sauf, au nom de la laïcité, pour les agents publics et assimilés lorsqu’ils sont en fonction et pour les élèves dans les écoles publiques (loi de 2004).

Ainsi, Mahmoud Doua, qui est anthropologue et membre de l’UOIF rappelait, dans « Mots croisés », sur France 2, en juillet 2009, que l’état laïque et républicain, n’a pas à réglementer la visibilité religieuse (sauf bien sûr si ça perturbe l’ordre public).

b) Second point : justement, dans le cas précis du port de ces vêtements, les usages et les règles régissant la circulation des personnes dans l’espace public, sont-ils respectés ?

Se pose principalement le problème de la reconnaissance de l’identité de la personne que l’on a en face de soi !

Catherine Kintzler parle du refus de s’identifier pour les actes de la vie civile.
Et là, ne peut-on pas parler de trouble à l’ordre public, voire de sécurité : que cache un tel vêtement ?

c) Une autre question mérite d’être posée : est-ce qu’un signe ou un comportement doit nécessairement être accepté parce que son origine serait religieuse ? Je rappellerai que lapider une femme adultère ou pratiquer l’excision sont interdits en France.

3) Troisième lecture : le caractère politique

a) la Burqa et le niqab sont-ils des signes religieux comme les autres ?
ou bien s’agit-il d’une expression extrême de l’adhésion à une religion, du signe d’une radicalité de la pratique religieuse … qui, de fait, empiète sur le domaine politique.

-  Nous serions alors en présence d’une dérive à caractère communautariste. Rappelons qu’ en France, il y a séparation du politique et du religieux (voir la loi de 1905) ; le fonctionnement de la république ne repose pas sur les communautés.

- Le port de ce vêtement serait ainsi un acte à la fois à visée prosélyte, mais aussi à visée politique.

La présidente de « Ni putes, ni soumises » Sihem Habchi ose affirmer que les politiques ont trop souvent esquivé la confrontation avec les islamistes et sont tombés dans le « piège du relativisme culturel ».

- D’autre part, le groupe qui impose le port de la burqa n’entend-il pas tester notre modèle républicain ? C’est une mise à l’épreuve des valeurs de la République, de la validité de ses lois, de l’autorité de l’état.
Le discours du président de la République à Versailles a d’ailleurs aussitôt suscité une prise de positions des musulmans extrémistes (Le numéro deux d’Al Qaïda° a décaré : « La France va payer pour tous ses crimes »)

4) Quatrième lecture : l’égalité des sexes

- En effet, au-delà d’une d’une manifestation ostentatoire de la religion, d’un engagement politique, n’y a-t-il pas atteinte à la dignité de la femme et au principe d’égalité des sexes ?

Juridiquement, la Burqa et le Niqab ne sont pas considérés comme de simples signes attachés à une pratique religieuse.

Des décisions juridiques illustrent cette position :

- Par un décret daté du 16 mai 2005, le gouvernement s’est opposé à l’acquisition de la nationalité française par mariage, d’une marocaine qui portait la burqa (nationalité acquise automatiquement 2 ans après le mariage).

- Cette décision a été portée devant le Conseil d’état qui a rejeté la requête ; les arguments retenus sont : ces vêtements (Décision N° 286788 du 27 juin 2008, Leban) sont « incompatibles avec les valeurs essentielles de la communauté française et notamment avec le principe d’égalité des sexes », et la condition d’assimilation posée par le code civil n’est pas respectée - cette femme vivait recluse et totalement soumise aux hommes de sa famille -.

-  De même la Halde, Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (le plus souvent très bienveillante au sujet du port des signes religieux) a considéré qu’il n’était pas contraire à la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme (CEDH) d’exiger le retrait de la Burqa ou du Niqab pour suivre une formation.

- Il faut ajouter que cette disparition totale du corps ne concerne pas les hommes, dans la religion musulmane. La discrimination homme-femme est évidente.

Michel Onfray, dans une interview parue en août 2009 dans Marianne, affirme qu’ainsi vêtue la femme se réduit à n’être qu’un « signal sexuel » pour des mâles. … certains ajoutent : des mâles ne maîtrisant pas leurs pulsions ?

La présidente de Ni putes ni Soumises Sihem Habchi et la philosophe Elisabeth Badinter ont toutes deux affirmé leur opposition au voile intégral en France, devant la commission parlementaire : Le « symbole le plus violent de l’oppression de la femme » pour Habchi.

Il ne faut pas oublier la condition spécifique de ces femmes chez les Talibans par exemple : interdiction d’occuper un emploi, de sortir non accompagnée d’un homme : mari ou parent mâle, enseignement secondaire interdit aux filles…
Qu’en est-il dans ces conditions de la dignité de la femme ?

5) Cinquième lecture :
la question de la liberté individuelle

Beaucoup de femmes optant pour cette tenue sont jeunes, et récemment converties à l’islam. Elles rejettent l’idée d’oppression et mettent en avant leur liberté individuelle, argument également avancé par le Président Obama dans son discours du Caire le 4 juin 2009, ainsi que par Yaziz Sabeg, commissaire à l’égalité et à la diversité des chances, récemment : "L’Etat n’a pas à se prononcer sur les tenues vestimentaires des Français, dit-il. Va-t-on interdire de marcher en babouches dans la rue ou de pratiquer le monokini sur la plage ?"

Pour eux, comme pour la Libre Pensée, empêcher ces femmes de choisir leur tenue vestimentaire représenterait une oppression. « Et en quoi le port de la soutane pour les prêtres, de la robe de bure pour les moines, de la robe et de la cornette pour les religieuses, du schtreimel, du spodik ou du caftan pour certains juifs » est-il moins un symbole d’oppression que le port de la burqa pour certaines musulmanes ?

« La liberté, c’est toujours défendre la liberté de celui qui pense autrement » disait Rosa Luxembourg.

6) Sixième lecture : sociétale
L’acte social , créateur du lien social

Ces vêtements sont vraiment particuliers : ils masquent soit le visage entier, soit laissent une fente pour les yeux. Si on se place du point de vue de l’acte social, ce qui crée le lien social, ce dernier devient difficile.

En France, l’espace public a toujours été considéré comme un lieu d’échanges, de relations entre les citoyens, entre les êtres humains ; ces idées sont développées par le sociologue Jean Baubérot, les philosophes E. Badinter et Abdennour Bidar.

Cacher, c’est « refuser d’entrer en contact avec l’autre », c’est refuser la réciprocité, dit aussi E. Badinter. Le philosophe juif Lévinas tenait des propos similaires : « Le visage est le miroir de l’âme » ou « Le visage est ce qui nous interdit de tuer ».

Pour la sociologue Nathalie Heinich, l’humanité de l’être humain, c’est son visage. D. Voynet précise : l’humanité, c’est le regard + la voix.

Toutes ces citations illustrent le fait que le visage a un statut particulier dans le corps.

La personne qui porte un voile intégral se retranche de la vie publique, celle qui fonde la relation ordinaire. Catherine Kintzler dit : « C’est plus qu’un masque ; il y a « visibilité d’absence ».

Justement, ce vêtement qui est censé cacher la femme, attire le regard ; par contre, l’individu et sa singularité ont disparu. Seule l’appartenance au groupe qui prescrit cette coutume reste visible.

On peut presque dire que le voile intégral annihile la femme. Elle se créée son propre ghetto.

A. Gérin parle de « Prison de tissu », F. Amara, de « Cercueil » qui tue les libertés fondamentales, N. Heinich de « fantômes sordides »….

Cependant, beaucoup de ces femmes présentent cette séparation revendiquée de l’espace public comme une protection !

Dominique Voynet dit que porter un tel voile est à la fois une expression personnelle de convictions et une revendication envers la société. Elle pense qu’il s’agit d’une expression de la négation des valeurs de la société où elles se trouvent. Pour elle, ces femmes expriment là à la fois leur appartenance à un groupe religieux et leur défiance vis-à-vis des autres personnes non musulmanes, considérées comme non pures.

E. Badinter avance une autre idée : « Le visage n’est pas le corps et dans notre civilisation occidentale, il n’existe pas de vêtement du visage ».

Elle va plus loin en dénonçant l’attitude des radios et des télés qui présentent le voile intégral comme un choix de ces femmes. Son argument : qui va défendre ensuite les femmes contraintes et que personne n’entendra jamais ?

Mais comment prouver qu’un port de burqa est subi, s’il n’y pas témoignage d’un tiers ?

E. Badinter, toujours, pense que la République se doit d’adopter un rôle de protection, au moins pour empêcher que d’autres femmes ne soient contraintes ; alors, protéger par la loi (Gérin) ou persuader par la pégagogie (Eric Besson, Michel Naud)…. ?

Au-delà de ce choix vestimentaire, ces femmes ne sont-elles pas en quête d’identité ?

Beaucoup d’aspects donc : Quête d’identité, expression de la liberté individuelle, rejet de la société et de ses règles, perte de dignité humaine, déni du statut d’égalité de l’homme et de la femme, acte politico-religieux, chacun peut privilégier un élément plutôt qu’un autre ….

Alors, aujourd’hui, et pour ceux qui nous succéderont, Pouvons-nous continuer à nous voiler la face ?

Allons-nous tomber dans le « piège du relativisme culturel » ?

Y a-t-il des décisions à prendre ?

MP.B.

Sources : Site de l’Assemblée nationale, Observatoire international de la laïcité, prises de positions d’E. Badinter, émission "Mots Croisés, revue Philosophie sept.09, Marianne hors série août 09, écrits de N. Heinich, dossier de Libération...

Sourates et versets concernés
Extraits des débats
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