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La conquête de l’espace scolaire : le temps, les lieux - Laïcité Aujourd'hui

La conquête de l’espace scolaire : le temps, les lieux

, par  hdeb , popularité : 16%

Au lieu d’être pacifiées par la laïcité, les écoles sont l’enjeu permanent de batailles sur la place de la religion en leur sein. L’activisme religieux s’est également porté vers la conquête des financements publics.

Un débat d’une toute autre ampleur et importance suivit la construction, à partir de 1820, de nombreuses écoles publiques. Elles furent créées afin d’éduquer les Américains d’origine modeste à devenir de bons citoyens. L’enseignement de la morale était considéré comme la première priorité. Tout le monde pensait que les valeurs morales étaient d’origine religieuse et que l’expression la plus élevée se trouvait dans la Bible, en particulier le Nouveau Testament. La presque totalité de la population se répartissant entre de très nombreuses dénominations protestantes, il était hors de question d’en choisir une comme base de l’enseignement religieux. L’approche retenue, connue sous le nom de « non-sectarisme » ou de protestantisme non sectaire, consista à enseigner les valeurs morales communes à l’ensemble des dénominations chrétiennes.

Bible King James (1611) {JPEG}La lecture de la Bible, dans la version protestante appelée « King James » devint donc une activité quotidienne dans les écoles publiques. La Bible était lue et non interprétée. Selon le principe cher aux protestants, chacun était libre de l’interpréter selon sa raison et sa conscience. Ce non-sectarisme d’inspiration protestante ne fut pas unanimement apprécié. Certains protestants, parmi les plus religieux, craignaient que cette approche n’édulcorât la religion en valorisant davantage son utilité sociale comme source de valeurs morales que son caractère divin.

Les catholiques, une petite minorité qui grossit rapidement avec l’immigration irlandaise autour de 1850, pratiquaient la lecture de la Bible dans les écoles publiques. Ils rejetaient le concept de la libre Bible Douay-Rheims (1609) {JPEG}interprétation du texte biblique et la version protestante retenue. Ils souhaitaient que la Bible fût enseignée à leurs enfants par des prêtres utilisant la traduction Douay-Rheims de la vulgate. Beaucoup de catholiques, ayant décidé d’envoyer leurs enfants dans des écoles catholiques, demandèrent que ces écoles bénéficient des mêmes financements que les écoles publiques considérées comme protestantes. Après le refus des majorités législatives, beaucoup de catholiques firent campagne en faveur de l’abolition de la lecture de la Bible dans les écoles publiques. Cette demande suscita l’hostilité de nombreux protestants. Ils pensaient qu’elle risquait de saper les fondements de l’Etat républicain en supprimant son fondement moral. Le fait qu’une majorité de protestants jugeaient l’intolérance et l’autoritarisme de l’Eglise catholique romaine comme contraire à l’esprit des institutions américaines ne favorisait pas un dialogue productif. Les débats s’envenimèrent, provoquant de nombreuses émeutes. L’encyclique papale Quanta Cura de 1864, qui qualifiait de folie (deliramentum) la notion selon laquelle la liberté de conscience est un droit universel, contribua à envenimer le climat.

En 1875, le Républicain James G. Blaine proposa un amendement constitutionnel interdisant aux Etats de légiférer sur l’établissement d’une religion ou de limiter le libre exercice des cultes. Les protections du 1er amendement étaient ainsi étendues aux actions des Etats, ce qui montre que les législateurs de l’époque ne pensaient pas que le 14e amendement assurait cette extension. Blaine et ses alliés étaient convaincus que l’amendement proposé, s’il empêchait le financement public des écoles catholiques, n’interdisait pas la lecture de la Bible dans les écoles publiques. L’amendement Blaine [1], s’il ne put réunir tous les votes nécessaires à son adoption, eut néanmoins une influence considérable. De nombreux Etats adoptèrent des lois ou des amendements constitutionnels limitant le financement des écoles religieuses.

Les catholiques ne réussirent pas à remplacer le non-sectarisme par une conception différente, plus pluraliste, de la relation entre le gouvernement et les écoles catholiques qui auraient reçu une assistance financière similaire à celle des écoles publiques qualifiées de sectaires protestantes. Mais les protestants, pour qui les écoles publiques étaient des instruments destinés à enseigner les valeurs républicaines communes, n’étaient pas préparés à financer des écoles où, pensaient-ils, un certain séparatisme religieux serait enseigné. Les catholiques étaient prêts à accepter des écoles publiques dénuées de tout contenu religieux tandis que les protestants rejetaient cette option parce que les écoles sans religion auraient été des écoles sans morale.

L’affaiblissement du protestantisme non sectaire se concrétisa à l’aube des années 40. D’abord les catholiques et des minorités non-chrétiennes telles que les juifs devenaient de plus en plus nombreux et influents. Ensuite les protestants étaient loin de former un front commun défendant des valeurs communes. Les protestants évangéliques de tendance fondamentaliste, partisans d’une interprétation littérale de la Bible et adversaires du darwinisme, s’opposaient de plus en plus aux libéraux qui acceptaient la théorie de Darwin et le principe d’une certaine évolution des idées morales. En 1948, la Cour suprême jugea [2] que donner des cours d’éducation religieuse, même volontaires et assurés par des enseignants extérieurs non rémunérés, dans les écoles publiques pendant les heures de classe violait la clause d’établissement dans la mesure où les écoles publiques favorisaient ainsi une ou plusieurs religions.

Mais en 1952, la Cour autorisa [3] un programme d’éducation religieuse pendant les heures de classe dans la mesure où les cours avaient lieu en dehors des écoles. Une loi promulguée par New York City, permettait aux élèves à quitter l’école pendant les heures de classe avec l’autorisation des parents. Le juge Douglas, dans l’opinion majoritaire, souligna que « nous sommes un peuple religieux dont les institutions présupposent un Etre Suprême ». Dans une opinion dissidente, le juge Jackson nota, avec dépit, que « le jugement intéressera davantage les étudiants en psychologie que ceux en droit constitutionnel ».

En 1962, ressurgit la question très délicate des prières dans les écoles publiques. La Cour suprême jugea [4] cette fois que les écoles publiques ne pouvaient pas demander aux élèves de réciter des prières. La Cour écrivit que « ni le fait que la prière ne corresponde à aucune dénomination religieuse spécifique, ni le fait qu’elle soit volontaire de la part d’étudiants, ne peut l’exclure des limitations imposées par la clause d’établissement ».

Cette opinion ne fut pas partagée par beaucoup d’Américains dont Billy Graham qui déclara : «  Il s’agit d’une autre étape vers la sécularisation des Etats-Unis. […] Les Pères de notre Constitution voulaient nous octroyer la liberté religieuse, pas nous affranchir de la religion. »

L’année suivante, en 1963, la Cour suprême considéra une question encore plus controversée, la lecture de la Bible dans les écoles publiques. La Cour se pencha sur une loi de Pennsylvanie qui demandait la lecture de dix versets de la Bible, au début de chaque jour de classe, dans toutes les écoles publiques. Un élève pouvait être exempté sur demande écrite de ses parents. La Cour jugea [5] cette loi inconstitutionnelle. Elle définit les critères :
- la loi doit avoir un objectif laïque et
- ne doit ni promouvoir ni restreindre la religion.
La Cour évoque aussi le préjudice moral qui peut affecter les enfants de religion juive lors de la lecture de certains passages du Nouveau Testament. Elle ne mentionne nulle part, en faveur de la Bible, son rôle de fondement de la morale. Ce jugement, on s’en doute, déclencha un torrent de protestations et d’amendements constitutionnels visant à autoriser la lecture de la Bible dans les écoles publiques. La Cour suprême fut accusée de « vouloir chasser Dieu des écoles et de recevoir ses instructions du Kremlin ».

Néanmoins beaucoup d’autorités religieuses comprirent les préoccupations de la Cour vis-à-vis des minorités religieuses, particulièrement les non chrétiennes, et estimèrent que, compte tenu du pluralisme religieux américain, il valait mieux lire la Bible dans les églises plutôt que dans les écoles publiques. Les écoles ne devraient pas se transformer en champs de bataille religieux.

De plus, les juges durcissaient les critères du « Sherbert Test » en établissant un nouveau test dit «  Lemon Test » qui vérifie que le gouvernement :

- ne doit prendre que des dispositions législatives à but laïque,
- ne doit prendre aucune disposition ayant pour effet de favoriser ou limiter la religion,
- ne doit pas avoir de lien excessif avec la religion.

En 1985, une loi de l’Alabama autorise les enseignants à réserver une minute pour prier ou méditer en silence au début de chaque journée et parfois, un enseignant demande à un élève de réciter une prière. Un parent de trois élèves décide de poursuivre l’Etat pour non respect du 1er amendement. Selon lui cette disposition revient à rendre la prière obligatoire et conduit à l’endoctrinement religieux des enfants. La Cour Suprême a jugé [6] que même si cette loi ne faisait la promotion d’aucune religion, l’Etat ne devait avoir d’autres buts que laïques, appliquant ainsi le « Lemon Test » et qu’en conclusion la loi ne respectait pas le 1er Amendement. Mais par ces jugements ultérieurs, la Cour ne donna pas à ce test la même valeur qu’au « test Sherbert ».

Depuis les années 1970, un nombre croissant de protestants évangéliques auxquels se joignirent des catholiques conservateurs commencèrent à exprimer haut et fort leur opposition à la vision moderne et libérale de la société et de la morale que beaucoup d’hommes politiques, la Cour suprême, la plupart des grands média nationaux et des intellectuels essayaient d’imposer.

Alors qu’ils constituaient une part très importante de la population américaine, ils se sentaient réduits au rôle d’une minorité assiégée et impuissante. La décision de la Cour suprême qui, en 1973, reconnut un droit implicite à l’avortement fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Les mouvements évangéliques, s’alignant avec les Républicains les plus conservateurs, commencèrent à exercer des pressions politiques de plus en plus fortes par l’intermédiaire, notamment, de la Moral Majority de Jerry Falwell et la Christian Coalition de Pat Robertson. La constitution d’une majorité conservatrice à la Cour suprême, afin de renverser la jurisprudence sur l’avortement et la clause d’établissement, devint un de leurs objectifs principaux.

Le Juge Rehnquist n’avait pas caché que «  le mur de séparation entre l’Eglise et l’Etat est une métaphore fondée sur une mauvaise lecture de l’histoire et devrait être franchement et explicitement abandonné  ». Nommé à la Cour Suprême sous Nixon, il la dirigea comme Chief of Justice à partir de 1986, ce qui changea totalement le cours des décisions. Et comme il y resta pendant 19 ans, jusqu’en 2005, rien ne vint bouleverser leur stabilité.

En 2000, une école publique de Santa Fe au Texas avait autorisé la lecture publique d’une prière chrétienne au cours de la remise de diplôme et lors de match de football en utilisant le réseau sonorisé de l’établissement. Les prières étaient lues par un étudiant élu par les élèves et appelé « chapelain ». Deux groupes de mères d’élèves, l’un Mormon et l’autre Catholique, s’opposèrent à cette décision. Le juge les autorisa à rester anonymes pour éviter le harcèlement c’est pourquoi l’affaire est enregistrée anonymement sous « Doe ». L’école décida de modifier sa politique et proposa aux élèves de voter pour décider si des « invocations » seraient lues durant les matchs de football. Les élèves choisirent de lire des prières si on leur en donnait le droit. Le juge accepta à condition qu’elles ne soient ni sectaires ni prosélytes. Mais la Cour Suprême a confirmé [7] que la lecture de prières au cours des matchs de football était inconstitutionnelle. Elle avait noté que l’élection du "chapelain" ne pouvait que favoriser la religion dominante dans une région à fortes convictions fondamentalistes puisqu’un élève d’une autre religion n’avait aucune chance d’être élu, et que l’école ne peut forcer les élèves à choisir entre ne pas assister à un match de football ou être soumis à un exercice religieux qui viole leur conscience. La Cour a rappelé que : « la liberté religieuse est restreinte lorsque l’Etat soutient de façon positive la pratique religieuse particulière qu’est la prière ». Le juge Rehnquist qui avait été placé en minorité, a dénoncé un arrêt « plein d’hostilité envers tout ce qui touche la religion dans les lieux publics  » !
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En octobre 2007, l’Illinois a promulgué une loi rendant obligatoire une minute de silence pour la réflexion ou la prière dans les écoles publiques. La loi autorisait cette pratique mais malgré l’opposition du gouverneur celle-ci a été durcie. A la suite d’une plainte d’un parent d’élève athée qui voulait faire déclarer cette loi contraire à la Constitution, la Chambre des Représentants est revenue à sa position initiale : autorisé et plus obligatoire. A l’heure actuelle le Sénat ne s’est toujours pas prononcé. La Cour fédérale locale a indiqué que la loi était « probablement » anticonstitutionnelle ce qui a bloqué la minute de silence dans toutes les écoles de l’Etat. Il faudra plusieurs mois avant que la Cour décide si le « probablement » se transforme en « réellement ». La pratique de la minute de silence est recommandée dans 23 états et obligatoire dans 13. Les sondages montrent que 6 américains sur 10 préfèrent la minute de silence à la lecture par un élève d’une prière et que 8 élèves sur 10 âgés de 13 à 17 ans sont favorables à ce que «  un instant soit accordé pour permettre aux élèves de prier s’ils le souhaitent ». Au Texas, un Tribunal a validé une loi semblable dans la mesure où l’élève pouvait se consacrer à n’importe quelle activité pendant la minute de silence. Cette décision est actuellement devant la Cour d’appel. Des juges qui ont rejoints la Cour Suprême récemment ont fait savoir qu’ils seraient favorables à déclarer constitutionnelle toutes les lois instituant la minute de silence, sans recourir à un examen approfondi des motivations du législateur, ce qui revient à promettre l’abandon du « Lemon Test ».

En 1992, une école de Milford a adopté un règlement en vertu de la loi en vigueur dans l’état de New York, qui permet aux résidents du district d’utiliser l’école pour «  l’enseignement dans n’importe quelle branche de l’éducation, ou les arts », et permettre l’utilisation des locaux de l’école pour « des activités sociales, civiques et de loisirs, des réunions de divertissement et d’autres utilisations relatives au bien-être de la communauté, à condition que ces utilisations soient non exclusives et soient ouvertes au grand public. »

Des habitants du district ont demandé à utiliser l’école de Milford pour des rencontres du « Good News Club ». L’utilisation proposée - avoir « un moment de plaisir de chanter des chansons, écouter une lecture de la Bible et l’enseignement des Écritures  » - a été considérée comme équivalente à la célébration d’un culte, et leur demande a été rejetée. L’école a également demandé à l’Etat de new York d’interdire l’utilisation des locaux à des fins politiques ou religieuses. Mais les demandeurs ont insisté. Cette fois, l’école a examiné le déroulement d’une réunion typique du Good News Club. L’école en a conclu que « les types d’activités proposés par le Good News Club n’étaient pas un débat laïque sur des sujets tels que l’éducation des enfants, le développement du caractère et de la morale dans une perspective religieuse, mais étaient en fait l’équivalent de l’instruction religieuse elle-même » et le conseil scolaire a rejeté la demande du club d’utiliser les installations de Milford. La Cour Suprême a annulé [8] la décision de l’école en insistant sur le fait que l’Etat doit garantir la liberté d’expression dans le cadre d’un « espace public limité et dans un contexte traditionnel ou organisé ». Le Club dont la devise est : « Reaching Children Elsewhere », ne cache pas son caractère de prosélytisme évangélique mais les enfants ne peuvent assister à ces réunions sans l’accord de leurs parents et elles ont lieu en dehors des heures scolaires. La Cour pense qu’il serait plus choquant pour les enfants d’apprendre qu’un Club qui leur propose des activités est interdit sous prétexte de religion mais elle retient comme argument principal que l’école de Milford a déjà autorisé la lecture des fables d’Esope et la réunion des Boys Scouts dans le but de participer à l’éducation morale des enfants. Les réunions du Good News Club sont pour elle l’expression d’opinions de même nature même s’il s’agit explicitement des valeurs chrétiennes. Le Child Evangelism Fellowship peut donc proclamer que la Bible est de retour dans les écoles publiques.

Ainsi la Cour Suprême des Etats-Unis place la laïcité sur un pied d’égalité avec les religions. Cette nouvelle définition de la neutralité de l’Etat implique qu’à l’avenir, il traite à égalité tous les groupes ou programmes qu’ils soient religieux ou laïques. Ceci ne sera pas sans conséquences lorsqu’il s’agira de parler de financements.

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