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Léon BOURGEOIS et la solidarité - Laïcité Aujourd'hui

Léon BOURGEOIS et la solidarité

, popularité : 25%

Pour la réunion du 23 avril 2014, par M.D.

Léon Bourgeois et la solidarité

C’est à la fois et incroyablement, un « grand Homme » , contemporain de Jaurès, Aristide Briand, etc...

et un « illustre inconnu ».

Plusieurs universitaires s’en étonnent : « Pourquoi a-t-on oublié un homme, dont un journaliste de l’époque faisait le profil psychologique dans les termes suivants : "Il a peur de faire mal, même pour faire du bien »... Il s’agit d’ Alexandre Dorna, Professeur d’Université en psychosociologie politique, Vice Président de l’Observatoire de la Démocratie qui ajoute « Léon Bourgeois est par nature et par raisonnement un altruiste convaincu… C’est un homme qui aura fait son devoir, tout son devoir... » ...

« Curieusement, Léon Bourgeois n’a pas droit à la moindre notice dans le Dictionnaire des intellectuels français, publié sous la direction de Jacques Julliard et Michel Winock, aux Editions du Seuil, en 1996. » Cette fois, c’est Jacques Mièvre qui s’exprime, dans un article intitulé « Le solidarisme de Léon Bourgeois , naissance et métamorphose d’un concept ».

Parlementaire radical de la IIIème République, Léon Bourgeois a été le premier président de la S.D.N.. Il a reçu le Prix Nobel de la paix en 1920 et il a été le fondateur d’une doctrine qui mériterait bien d’être revisitée : le solidarisme.

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1. Quelques éléments de biographie :

Il est né le 29 mai 1851 dans une famille républicaine. Son père était horloger. Brillant élève, il a fait des études de droit, interrompues le temps d’un engagement volontaire en 1870 pour défendre Paris et recevoir 2 médailles pour la défense du Fort de l’Est.. Licencié en droit à 21 ans, il se passionne aussi pour l’étude du Sanskrit et la sculpture.
Peu intéressé par la profession d’avocat, il aura franchi tous les échelons d’une grande carrière administrative, de sous-préfet à directeur de ministère, puis ceux d’une grande carrière politique : député, sénateur , président du Conseil (1885-1886), 12 fois ministre entre 1888 et 1917, dont 3 fois à l’Instruction Publique, président de la Chambre (1902-1904), président du Sénat (1920-1923),,).

Les trois domaines dans lesquels il a exercé des responsabilités constantes et théorisé les enjeux sont : l’éducation, la protection sociale et les affaires étrangères.

Initié Franc-Maçon en 1882 à la loge « La Sincérité » du GODF, il en fut un membre influent et Paul Anxionnaz qui était le Grand Maître en 1967 s’exprimait ainsi «  : « Si nous, francs-maçons du Grand Orient de France, vouons un culte particulier à sa mémoire, c’est parce qu’il n’est sans doute pas d’homme d’action, d’écrivain, de penseur dont l’œuvre tout entière ait été à un plus haut degré imprégnée de pensée et de fraternité maçonniques. »

Il a aussi été président de la Ligue de l’Enseignement à la suite de Jean Macé de 1894 à 1898. Voilà ce que l’on peut lire sur le site de la Ligue : « Sous la présidence de Léon Bourgeois la Ligue appelle au développement des œuvres post- et péri-scolaires afin d’implanter en tout homme « les solides principes indispensables aux citoyens d’une démocratie ». Soutenus par les pouvoirs publics, patronages, amicales d’anciens élèves, mutuelles, coopératives voient le jour sur tout le territoire et connaissent un grand succès qui inspire au gouvernement la loi de 1901 sur les associations. « 

Il est mort en 1925.

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2. Léon Bourgeois et le parti radical :

Soutien actif du comité central d’action républicaine, Léon Bourgeois a joué un rôle clé dans le premier congrès du parti radical et radical-socialiste qui se veut l’héritier du programme de Belleville énoncé en 1869 par Gambetta. L’appel à ce congrès énonce la nécessité et le devoir « de créer entre tous les républicains actifs une solidarité réelle, pour combattre le cléricalisme, ( « L’Eglise libre, dans l’Etat laïque souverain »), défendre la République et faire triompher notre programme d’action avec un volet social ambitieux ... »

Le contexte :

Dans les années 1878-1879, pour la première fois en France, les tentatives de restauration de la Monarchie ayant échoué, tous les pouvoirs sont entre les mains des républicains. La question sociale c.a.d la manière dont la République doit se soucier de la situation des déshérités de tous ordres, se pose avec une grande acuité.
Les républicains sont divisés entre :

 d’une part, les « modérés » ou « opportunistes » qui veulent se donner du temps pour prendre les mesures opportunes, qui pensent qu’il n’y a pas une question sociale mais des problèmes à résoudre et qui pensent que l’Etat ne doit jouer qu’un rôle incitatif : ils sont regroupés autour de Gambetta et Jules Ferry.

 et d’autre part, les « radicaux », qui entendent "poursuivre l’œuvre de réformation sociale inaugurée par la Révolution française dont le principe était la création d’une société "égalitaire" . Ils pensent qu’il faut compléter la conquête de la liberté par "la justice sociale” . Par ailleurs, ils sont opposés à la Constitution de 1875, qu’ils estiment d’inspiration monarchiste, fort peu démocratique, ils réclament la suppression du Sénat, contestent l’utilité et l’étendue des pouvoirs du Président de la République. Ils sont aussi anticolonialistes. Ces radicaux ont pour chef de file Clémenceau.

En 1906, débute la « République radicale » qui durera jusqu’en 1914 avec à la barre Clémenceau de 1906 à 1909. Soutenus par la Franc-Maçonnerie, mais aussi par la Ligue de l’Enseignement, la Ligue des Droits de l’Homme, dans leur défense de la République face au boulangisme ( 1885-1889), et dans le difficile contexte de l’Affaire Dreyfus (1898-1906), les radicaux sont de mieux en mieux implantés en France. Mais, ils se trouvent confrontés à la montée continue du socialisme reboosté par la Ième Internationale et la naissance de la SFIO... Le parti socialiste ne se veut plus « parti de réforme, mais parti de lutte des classes et de révolution »...

Les radicaux se sentent de plus en plus débordés sur leur gauche avec un risque de rejet au centre et ce d’autant plus qu’ils ne disposent pas d’une doctrine aussi cohérente que celle du socialisme marxiste.

Unifier les différentes composantes radicales s’impose. Ainsi s’ explique la création en juin 1901, à Paris, du Parti républicain radical et radical socialiste, qui se déclare dans son programme de 1907 "résolument attaché au principe de la propriété individuelle dont il ne veut ni commencer ni même préparer la suppression" tout en désirant lutter pour l’instauration de l’impôt sur le revenu, contre "les monopoles capitalistes", pour la nationalisation des chemins de fer, pour un renforcement des lois d’assistance ouvrière, pour encourager le prolétariat à accéder à la propriété individuelle, "condition même de sa liberté et de sa dignité" .

Doter le radicalisme d’un corps de doctrine qui pourrait efficacement s’opposer à la doctrine marxiste très structurée et de plus en plus conquérante sera l’œuvre de Léon Bourgeois et de sa doctrine de la Solidarité. Une doctrine qu’il avait déjà exposée dans un livre écrit en 1896.

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3. Le solidarisme de Léon Bourgeois

• Commençons par lui céder la parole . Voici d’abord un extrait de son discours lors de la fondation du parti radical :

« " Au moment où vous voyez grandir de l’autre côté de l’Atlantique ce nuage noir formidable des trusts qui semble faire pâlir la lumière de la liberté humaine et qui projette déjà son ombre sur les rives de l’Ancien Monde, dans ce froid qui augmente et se fait sentir chaque jour davantage, laissez le travailleur faible, isolé, sans appui et sans aide sociale, savez vous où il ira ? Il ira à la révolte, à la violence, aux chimères. Dites-lui au contraire qu’il y a un devoir social de tous envers tous, dites- lui que la société doit être composée de membres libres, d’associés égaux en droit et fraternellement unis ; dites-lui que lorsqu’un d’entre eux succombe, il doit être relevé par l’aide de tous ; dites-lui que celui qui travaille doit être protégé contre les risques qui le menacent, et ainsi aidé, arriver à faire sortir de son travail sa petite propriété individuelle ; qu’il faut, par suite, autour de chacun, un ensemble d’organisations de prévoyance et d’assurance par lesquelles tous les risques sociaux seront à l’avenir prévenus et réparés ; dites-lui que dans la lutte qu’il soutient pour la vie, la société entend établir dans la mesure du possible les conditions de la justice. (...) Dites-lui que nous voulons la défense de sa liberté, de sa dignité, de son activité, c’est-à-dire les trois termes dont la propriété individuelle est l’expression résumée en un seul mot : dites-lui tout cela, et vous verrez qu’il n’ira pas courir vers l’hypothèse collectiviste, que, comme le paysan propriétaire, il restera fidèle à sa petite glèbe et n’aura qu’un souci, celui de défendre ce bien, légitimement acquis celui-là, par son travail et non par les procédés louches que nous flétrissions tout à l’heure."

Voilà maintenant un extrait de sa lettre à Ferdinand Buisson :

« Le parti radical a un but ; il veut organiser politiquement et socialement la société selon les lois de la raison, c’est-à-dire en vue de l’entier développement de la personne humaine dans tout être humain, en vue de l’entière réalisation de la justice dans tous les rapports entre les êtres humains. Le parti radical a une méthode. C’est celle de la nature elle-même. Il sait que tout organisme naturel tend à se développer vers un état supérieur par l’évolution régulière de chacun de ses éléments coordonnés. Il attend donc de l’évolution morale et intellectuelle de chacun des individus l’amélioration progressive de la société. Et c’est pour la hâter qu’il fait de l’éducation publique le premier devoir de l’État, puisque c’est le premier intérêt de la Nation. (…) Le parti radical a une morale et une philosophie. Il part du fait indiscutable de la conscience. Il en tire la notion morale et sociale de la dignité de la personne humaine. Il en conclut pour celle-ci un droit et un devoir : le droit de chercher par l’effort de sa raison les conditions de son propre développement et les lois de ses rapports avec les autres êtres ; le devoir d’observer vis-à-vis des autres les règles d’existence qu’elle a ainsi librement déterminées. (…) Le parti radical a une doctrine politique. Il va de soi que c’est la doctrine républicaine. Mais la République qu’il a en vue est la République démocratique qui, seule, permet à tous les citoyens de rechercher ensemble, sans privilège pour aucune catégorie d’entre eux, les arrangements légaux les plus propres à réaliser ce gouvernement de la raison. Le parti radical enfin a une doctrine sociale. Et cette doctrine se résume en ce mot : l’association. Il ne croit pas en effet que le bien de la nation puisse se réaliser définitivement par la lutte des individus et des classes, pas plus que le bien de l’humanité par la lutte des nations. Il affirme que le véritable instrument de tous les perfectionnements sociaux, c’est l’association des individus et l’association des groupes humains consentant à des règles que les uns et les autres jugent et sentent conformes au bien, parce qu’elles le sont à l’intérêt de tous.(…)"

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Principales caractéristiques de la philosophie solidariste de Léon Bourgeois :

Elle s’inspire des théories de Charles Gide, Durkheim... qui sont à l’origine de l’Economie Sociale et Solidaire, des philosophes des Lumières, de l’évolution rationaliste de la pensée scientifique...

Ce qu’elle a d’original, c’est qu’elle fonde la solidarité républicaine non pas contre, mais en conservant le meilleur du socialisme et du libéralisme. Cette théorie se veut une synthèse et non un compromis, mais une synthèse supérieure et non figée . Léon Bourgeois n’hésite pas à parler de « socialisme libéral ».

Pour l’essentiel, le solidarisme veut créer une « société de semblables », c.a.d . d’individus, certes différents, mais dont l’égalité de dignité doit orienter toute politique de justice sociale. « Nul motif ne doit « distinguer en droit deux enfants de la race humaine ».
Le « je pense donc je suis » de Descartes, a ouvert sur l’idée que tout être pensant trouve en lui-même son droit à l’existence et à la liberté.

Il en découle une théorie de la démocratie qui ne peut exister que si tous les hommes composant la nation sont considérés comme partie d’un corps où ils sont égaux en titre et en droit. La démocratie vue comme cela n’est pas qu’une forme de gouvernement. C’est une « forme d’organisation de la société tout entière » qui exclut aussi bien le modèle de la République antique, esclavagiste, que la démocratie américaine qui tout en proclamant la souveraineté de tous en droit, en rend l’exercice, de fait, impossible en interdisant aux noirs l’accès aux charges publiques.

La République française n’est pas faite pour quelques-uns mais pour tous. Une République démocratique est davantage qu’une République politique, c’est un « état social fondé sur la liberté de chacun et la solidarité de tous ».

Comment passer de la valeur solidarité au solidarisme en droit et de droit ?

En lui donnant un fondement scientifique, moral et juridique.

Les fondements scientifiques de la solidarité :

Léon Bourgeois contredit le darwinisme social sur lequel se fondent les libéraux pour justifier la concurrence et la non intervention de l’Etat dans les domaines économique et social (l’Etat devant se contenter d’assurer l’ordre), en s’appuyant sur les sciences naturelles dont les conclusions ne sont pas celles de la lutte pour l’existence, mais plutôt d’une solidarité des êtres.

La vie d’un individu se caractérise par la solidarité des fonctions liant des parties distinctes. Ce rapport de dépendance réciproque se retrouve entre les êtres eux-mêmes, puisque aucun individu isolé ne peut survivre, et aussi entre les êtres et leurs milieux. C’est donc bien l’association qui permet l’essor commun de la vie individuelle et de la vie sociale.

• Selon Bourgeois, le fondement scientifique ne suffit pas, la doctrine de la solidarité ne sera justifiée , que si elle concilie la méthode scientifique et « l’idée morale ».

Mais la morale a été transformée par le « progrès de la raison ». On ne peut plus postuler une idée métaphysique de l’homme, comme sujet abstrait s’érigeant en « fin en soi » de la Création et de ses propres actions, alors que la science le décrit comme un être naturel qui dépend pour son développement, de son milieu et des autres... Pour autant, dit Bourgeois, en réponse aux libéraux qui craignent de voir émerger un « socialisme étatique », ce n’est pas « la socialisation des biens , c’est la socialisation de la personne qu’il s’agit de réaliser... La nouvelle définition des droits et devoirs ne devra pas partir d’un face à face entre l’homme et l’Etat, que la science ne considère pas comme une entité dotée de pouvoirs supérieurs (création humaine), mais des hommes eux-mêmes, associés dans une oeuvre commune, et obligés dans un but commun.

Les libertés ne doivent pas s’entre détruire mais se composer pour faire progresser toute la société.

• Du contrat social de Rousseau au « quasi contrat » de Léon Bourgeois :

Bourgeois défend l’idée d’une double dette sociale contractée par l’être humain à sa naissance à l’égard de l’association humaine.Tout enfant, estime Bourgeois, même le plus pauvre, reçoit un héritage social dans sa jeunesse et ses années de formation. Il y a d’abord l’héritage des générations qui l’ont précédé et le fait que ses parents lui apportent non seulement la nourriture, mais un langage, l’apprentissage du maniement des outils ; l’école, plus tard, lui inculque au moins un enseignement primaire .

L’homme doit rembourser, par son travail au sein de la société humaine la dette sociale contractée pendant ses années de formation et il doit, de plus, apporter sa contribution au progrès humain, progrès humain si cher à Condorcet, un des hommes de la Révolution souvent revendiqué par les radicaux.

Dans la conception de Bourgeois, « le possédant est débiteur des non-possédants », et les obligations de solidarité des privilégiés seront plus lourdes que celles des autres.

Bourgeois juge que l’homme a aussi une dette envers les générations futures et qu’il doit faire plus que rembourser sa dette sociale.

Ce n’est qu’une fois cette double dette acquittée que l’être humain sera véritablement et pleinement libre. La loi positive peut assurer par des sanctions impératives l’acquittement de la dette sociale posée par ce quasi-contrat général. On retrouve ici la préconisation platonicienne d’une conciliation de l’Ordre et de la Liberté. « La Révolution a fait la Déclaration des droits, il s’agit d’y ajouter la Déclaration des devoirs » dira Léon Bourgeois au congrès international d’éducation sociale en mars 1900 en présence de Jules Siegfried et Ferdinand Buisson et il proposera de remplacer la devise républicaine par « Solidarité, Justice, Liberté ». Fait premier, antérieur à toute organisation sociale, la solidarité est la raison d’être objective de la fraternité. C’est donc par elle qu’il faut commencer.

Le quasi contrat de Bourgeois se différencie du contrat social de Rousseau en ce que pour le solidarisme, "L’obéissance au devoir social n’est que l’acceptation d’une charge en échange d’un profit. C’est la reconnaissance d’une dette" . On est loin de l’ homme de Rousseau parfait au commencement des choses, mais qui, déformé par les vices des institutions , arrive à une aliénation totale ...

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• Le solidarisme de Bourgeois place l’éducation au cœur du projet républicain.

Cette priorité tient à l’impossibilité pour la société de vivre dans la sécurité et la paix, si les individus qui la composent ne sont pas unis par « une même conception de la vie, de son but, de ses devoirs ». La tâche de l’éducation nationale est de créer cette « unité des esprits et des consciences ».

Il faut que l’instruction soit offerte, gratuitement, à tous, au delà du degré primaire.

Quel type d’homme veut-on faire de l’enfant ? « des hommes de corps sain, d’esprit juste et libre, d’instruction solide,de goût sûr, de conscience droite, de volonté forte »...De futurs citoyens qui soient de leur pays et de leur temps...

Ni savoir encyclopédique, ni savoir uniquement utilitaire...

Au cœur de la nouvelle pédagogie : apprendre à apprendre, une place de choix pour l’exercice, pour l’éducation morale sans imposer un système philosophique ni un dogme métaphysique sur la nature du bien et du mal.

Pour les enseignants, la règle sera « plus que les mots, l’exemple »... la pratique de la solidarité, l’esprit du don « l’éducation, c’est un don de soi-même »... L’enjeu étant d’initier le futur citoyen à une « vie supérieure à la vie égoïste, l’intérêt »... pour l’élever à la vie civique... d’où la défense des pratiques associatives évoquées plus haut.

Les républicains trouvent ainsi progressivement dans le solidarisme , professé par la Ligue de l’enseignement et ensuite par le parti radical et radical-socialiste puis vulgarisé et popularisé par Léon Bourgeois, les éléments philosophiques d’une morale laïque qui soit aussi un projet de société.

L’éducation de la démocratie passe aussi par une renaissance universitaire en poursuivant le décloisonnement entre les disciplines qui a débuté en 1870. « La science est une et la jeunesse doit le savoir »... et la vocation de l’enseignement supérieur est d’influencer la « direction générale des esprits », car c’est là « que gît la force vitale du pays tout entier ». Les enseignants ne constitueront plus une « caste ». Bourgeois saluera la Ligue de l’Enseignement qui « a fait concourir à l’achèvement de l’enseignement primaire les maîtres de l’enseignement supérieur et de l’enseignement secondaire » grâce à leur dévouement. Il fera un parallèle entre cette indispensable solidarité des trois ordres d’enseignement et 1789. « N’est-ce pas en décidant le vote par tête et non par Ordre aux Etats Généraux, que nos pères ont commencé la Révolution française » ?

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• Le solidarisme de L. Bourgeois fonde également la prévoyance sociale ( mutualisation des avantages et des risques)

La philosophie de la solidarité, selon Bourgeois, peut seule favoriser la construction d’une République de la main tendue contre le poing fermé. Il prône la mutualité « règle suprême de la vie commune » contre la charité réduite à une « pitié agissante ». Le solidarisme se montre ainsi favorable au mutualisme, en invitant les petites associations de secours mutuel à se regrouper, en développant la prévoyance sociale, en sollicitant le soutien de l’Etat. En définitive, il faut organiser la prévoyance sociale par le « mutuel concours des initiatives volontaires et libres » là où elles s’avèrent suffisantes, mais par les « mutuels concours de toutes les forces de la nation là où celles-ci seules sont assez puissantes pour prévenir le mal ou le réparer ».

C’est au nom de la solidarité que Léon Bourgeois défendra entre autres, le principe de l’impôt sur les revenus et la mise en place d’une retraite pour les travailleurs.

• Avec l’interdépendance mondiale, la solidarité planétaire devient le véritable horizon du solidarisme républicain .

Bourgeois pense que la prévoyance sociale risque l’inefficacité si elle se borne aux frontières de l’ Etat-Nation.

Cette évolution de la prévoyance sociale vers un horizon planétaire s’est concrétisée par le travail de 3 associations internationales :

 celle des Assurance sociales

 celle de la protection légale

 celle du chômage

qui ont associé leurs efforts.

D’où :

 En 1990 : réunion à Berlin de la Conférence internationale pour la protection du travail

 En 1900 à Paris, de l’Association pour la protection légale des travailleurs

 En 1910 : création de l’Association internationale pour la lutte contre le chômage

L’idée étant que seule la « méthode internationale » fondée sur l’entente des nations en matière de réglementation du travail, réduction des horaires, augmentation des salaires, interdiction des produits toxiques, etc ... etc ... pouvait être durablement efficace et éviter les conflits entre intérêts individuels et intérêt national.

« De même que la laïcité française permet, dans le respect de la pluralité des croyances et des convictions, de faire tenir ensemble la société autour d’un projet partagé de solidarité, de même l’humanité tout entière peut à la fois communiquer dans le respect des différences et communier dans une solidarité planétaire toujours plus étroite ».
Parmi les institutions qui contribuent à l’avènement de tout « un monde nouveau en formation », les premiers pas d’une Société des Nations visant à garantir, par le droit, la sécurité collective mais qui ne verra le jour qu’après la première guerre mondiale. Léon Bourgeois en sera le premier président mais il n’aura pas réussi à faire passer son souhait d’une « S.D.N. vigoureuse et armée », organisant le travail au niveau mondial d’une façon équitable et humaine, dans toutes les nations associées, soucieuse d’organiser « l’éducation des esprits » afin de prémunir l’humanité contre la barbarie... La S.D.N. s’avérera être un échec.

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4. Actualité et limites du solidarisme de Léon Bourgeois

Les idées de Léon Bourgeois ne sont jamais devenues la philosophie officielle du parti radical dans son ensemble et ne sont guère connues en dehors des cercles intellectuels radicaux, mais, selon l’historien Pierre Lévêque, elles apportent : "une raison d’être à la position de juste milieu (ni libéralisme intégral, ni collectivisme) qui est celle des radicaux".

Toutefois, le solidarisme va imprégner la pensée politique de l’entre-deux-guerres. C’est peut-être dans l’Education Nationale que la doctrine a tenu le plus longtemps :

Les radicaux au gouvernement, comme Jean Zay, ministre de l’Education Nationale de juin 1936 à septembre 1939, s’inspirent notablement du solidarisme de Bourgeois. Dans les Instructions ministérielles de Jean Zay, le terme de solidarité revient souvent, assimilé au développement du "sens social", spécialement par la méthode des "centres d’intérêt".

Le point de départ peut être la salle de classe ; les élèves en prendront possession pour l’orner au moyen de toutes les disciplines, de façon à percevoir la solidarité des disciplines, la solidarité des élèves entre eux puisque leurs aptitudes se complètent, de même lors de la rédaction d’un "Journal de classe".

Il faut favoriser le système des coopératives scolaires pour aborder les "problèmes réels" de vente, achat et échange. Les loisirs dirigés du samedi, les visites à des "gens de métiers" inculqueront aux élèves le "sens du travail d’autrui", donc la solidarité des hommes entre eux.
Enfin, cette "éducation du sens social" doit amener les élèves à prendre conscience de la nécessaire solidarité des groupes humains dans une société plus harmonieuse, de leur complémentarité, et apprendre à chacun à garder son individualité, donc sa liberté, en se soumettant aux règles du groupe, dans un esprit de solidarité et de fraternité.

Cette "éducation du sens social" et cette préoccupation d’arriver à une prise de conscience d’une nécessaire solidarité sont alors partagés par tous les psychologues et pédagogues qui s’efforcent de réformer les théories et les pratiques pédagogiques : Piaget et son affirmation de "la socialisation progressive" de la pensée de l’enfant, Ferrière et son école active, Cousinet et son travail de groupes, le docteur Decroly et ses centres d’intérêt, la doctoresse Montessori et son abondante création de matériel pédagogique, sans compter les auteurs de l’audacieux grand plan de réformes de l’enseignement des années de la Libération, Langevin et Wallon.

Actualité : que reste-t-il ?

Le professeur Bernstein répond à cette question : « une certaine modernité », probablement au niveau des théories sociales, en réponse à cette société ultra libérale qui a rompu tous ses liens sociaux et ne jure que par le profit et l’individualisme outranciers.

L’évolution politique récente montre que si le solidarisme a disparu du paysage politique français, l’idéologie, le système de valeurs qui le sous-entend, autrement dit la solidarité, est plus que jamais présente dans le discours politique.

Serge Audier : « En replaçant l’homme dans l’interdépendance généralisée des êtres, et, en montrant ses liens avec toutes les générations passées et futures, le solidarisme de Bourgeois offre des points d’appui pour une théorie républicaine de l’écologie dans l’horizon d’une solidarité planétaire »...

A quand ?

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Documents consultés et utilisés pour la rédaction de ce travail :

-  Site de la Ligue de l’Enseignement : la laïcité au tournant du siècle

-  Observatoire de la démocratie : Eléments pour une doctrine républicaine (3), Léon Bourgeois et le solidarisme par Alexandre Dorna

-  Serge Audier : Fonder la solidarité

-  Léon Bourgeois sur WIKIPEDIA

- Cahiers de la Méditerranée : Le solidarisme de Léon Bourgeois, naissance et métamorphose d’un concept.

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Solidarité aujourd’hui  : réunion du 19 janvier 2005 LA SOLIDARITE

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