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Les questions que soulève K. Daoud - Laïcité Aujourd'hui

Les questions que soulève K. Daoud

, popularité : 16%

Pour la réunion du 6 avril 2016, par MP.B.

J’avais proposé ce travail parce que j’avais été choquée par la virulence d’un article signé par des universitaires au sujet de la prise de position de l’écrivain algérien ...
Je vais essayer de préciser les faits, puis de voir ce qui est reproché à KAMEL DAOUD, au centre de cette polémique.

Quels sont ces faits ?

Il s’agit essentiellement d’un texte signé Kamel Daoud au sujet des agressions de la Saint Sylvestre à Cologne. D’abord publié en Italie dans le journal « La Repubblicca », il est repris par le Monde le 31 janvier 2016, 1 mois après les faits. Cet article a provoqué une réaction cinglante d’universitaires, réaction également publiée par le Monde.

D’autres articles seront publiés les 05 et 14 février.

Le 31 janvier dans le Monde, il s’interroge sur ce qui s’est passé à Cologne la nuit de la Saint-Sylvestre. « On peine à le savoir avec exactitude en lisant les comptes rendus ? » dit-il et dans cette prise de position, il pointe « le tabou du sexe et le rapport à la femme dans le monde arabo-musulman » . Le 14 février, il écrit un nouvel article dans le New York Times. Le 20 février, il rend publique dans le monde sa lettre réponse à son ami algérien, Adam Shatz.

Des réactions

- Libération reproche à Daoud des « phrases provocatrices qui ont mis le feu » et France Culture d’être « peu précis dans ses accusations ». Dans le Monde, une vingtaine d’intellectuels, plus « efficaces » ( ..c’est l’adjectif employé par Eric Conan ), l’accusent d’« islamophobie » ... La réponse de ce collectif d’universitaires (il s’agit d’anthropologues, de sociologues, d’historiens et de journalistes ) paraît le 12 février ; les membres de ce collectif , me semble-t-il, ont un lien avec l’EHESS. Vu l’ampleur de la polémique, certains (es) publieront des articles complémentaires ; ainsi l’ ethnologue Jeanne Favret-Saada, et Jocelyne Dakhlia (Directrice d’études à l’EHESS), entre autres.

Des réserves : Adam Shatz , un algérien, ami de Daoud, émettra quant à lui des réserves sur les idées émises par son ami ; Daoud lui répondra dans le Monde le 20 février.

Des soutiens se manifesteront : Ainsi Manuel Valls, Agnès Perrin (EGALE), J.-P. Sakoun du CLR , Martine Storti, écrivaine, Daniel Salvatore Schiffer, philosophe, Catherine Kintzler, Pascal Bruckner, Fawzia Zouari, romancière et journaliste franco-tunisienne, Karim Akouche, Écrivain algérien, Boualem Sensal, algérien aussi, Hamidou Anne (rédacteur du Monde Afrique et contributeur du Think thank l’Afrique des Idées), Louis Hausalter et Eric Conan, dans Marianne.

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J’en viens aux Reproches :

Quelles sont les Idées mises en avant par ce collectif ? Il est question d’islamophobie, de clichés orientalistes, de racisme, de choc de cultures, de choc de civilisations.

- ISLAMOPHOBIE

L’idée d’islamophobie est formulée quand Daoud parle du statut de la femme dans le monde arabe : Daoud évoque « la misère sexuelle dans le monde arabo-musulman, le rapport malade à la femme, au corps et au désir... »
Le collectif lui reproche de décrire les individus par leur " seul rapport à la religion " ; de refuser « à ces individus la moindre autonomie, puisque leurs actes sont entièrement déterminés par la religion. ». Je cite toujours, « Dans le contexte européen, il épouse une islamophobie devenue majoritaire. Derrière son cas, nous nous alarmons de la tendance généralisée dans les sociétés européennes à racialiser ces violences sexuelles. »

Daoud dénonce cette « instrumentalisation de l’accusation d’islamophobie : "Je pense que cela reste immoral de m’offrir en pâture à la haine locale sous le verdict d’islamophobie qui sert aujourd’hui aussi d’inquisition. » ….

Ses soutiens :

« Puisqu’on est désarmé face à l’islamisme, on accuse les esprits clairvoyants d’islamophobie. » dit Karim Akouche, un romancier algérien qui vit au Québec.

Propos de Catherine Kintzler : « Ce procès politique rejoint ainsi la fatwa (pour « apostasie et hérésie ») qui pèse sur la tête de l’écrivain depuis 2014, mais il le blesse davantage, venant d’un monde dit « universitaire »... (pour cette fatwa l’imam a été condamné début mars à 3 mois de prison ferme à Oran)

La philosophe et universitaire Bérénice Levet : " Le procès en islamophobie intenté à Kamel Daoud pour avoir eu le courage d’établir un lien entre les agressions sexuelles de Cologne et les mœurs dans lesquelles les agresseurs ont grandi est hautement significatif de la cécité et de l’irresponsabilité à laquelle l’idéologie confine..." Elle ajoute : " Oui il s’agit bien d’un choc des civilisations, ... "

Laurent Bouvet , un autre universitaire s’exprime ainsi : « Le procès en islamophobie contre Kamel Daoud est digne de l’époque stalinienne » « Une certaine gauche, politique et intellectuelle, c’est le cas aussi dans l’université et la recherche, se comporte de manière très complaisante avec l’islamisme, au nom du fait que les musulmans... sont obligatoirement et automatiquement parmi les « damnés de la terre » ou subissent les affres du post-colonialisme. Cette complaisance va parfois jusqu’à la complicité voire la compromission, on le voit dans les tribunes communes tenues par certains journalistes, chercheurs ou responsables politiques avec quelqu’un comme Tariq Ramadan par exemple. »

L’écrivaine tunisienne Fawzia Zouari écrit : « Il existe, en France, une élite de gauche qui entend fixer les critères de la bonne analyse et qui veut faire de nous les otages d’un contexte français traumatisé par la peur de l’accusation d’islamophobie. » Elle écrit aussi ceci : « Oui, il y a, dans nos sociétés, un rapport pathologique à la sexualité induit par la morale religieuse. »

Hamidou ANNE, du think thank l’Afrique des idées dit : « il est inacceptable d’exposer l’auteur à la vindicte populaire, à l’inquisition de la meute intégriste sous le prétexte fallacieux d’islamophobie. ». Pour lui, « Un regard lucide, objectif et courageux est nécessaire sur l’Islam à l’ère de Daech et de Boko Haram... un débat serein et sans concession sur des questions essentielles comme la place de la femme, l’intégrisme, la laïcité, la culture… »

Le Statut de la femme en occident est une référence pour Daoud (alors que ce statut est un fléau pour l’islamisme !). « A Cologne, -dit Daoud- l’Occident (celui de bonne foi) réagit parce qu’on a touché à « l’essence » de sa modernité, là où l’agresseur n’a vu qu’un divertissement, un excès d’une nuit de fête et d’alcool peut-être. » (Note : à ce jour, 1527 plaintes enregistrées, dont 626 délits sexuels)

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RACISME

Le racisme a aussi été reproché par le collectif à Daoud :

Je cite à nouveau Fawzia Zouari, qui, quant à elle, parle de racisme, mais cette fois dans la religion musulmane : « Oui, il y a une forme de racisme qui considère qu’on peut violer une juive ou une chrétienne parce qu’elle vaut moins qu’une musulmane... »
Se pose la question de l’attitude à adopter face aux migrants ? Une alternative apparaît :

- Soit accueillir l’autre et sa différence ,

- Soit accueillir l’autre et lui demander de changer son rapport à la femme.. :

Accueillir l’autre et sa différence :

C’est l’idée véhiculée par le collectif d’intellectuels qui reproche à Daoud son « projet disciplinaire » : Ils écrivent : « Des valeurs doivent être « imposées » à cette masse malade, à commencer par le respect des femmes. …. y aurait-il « mission civilisatrice et supériorité des valeurs occidentales » ?

Selon leur philosophie, l’intégration deviendrait-elle un « processus dynamique à double sens », comme le dit Eric Conan ? Chaque partie renoncerait à quelque chose... pour se rapprocher de l’autre. ? A quoi l’occident devrait-il renoncer ?

Accueillir l’autre et lui demander de changer son rapport à la femme

C’est l’idée formulée par Daoud : il faut « offrir l’asile au corps mais aussi convaincre l’âme de changer »  ; …Cela rejoint le combat de Nadia Ramadna, qui a créé la Brigade des mères et l’ Ecole des mères de la République : (son objectif, entre autres, que, même à Aubervilliers ou à Sevran, les femmes puissent aussi aller dans les cafés, même si elles sont musulmanes ! )

Eric Conan, dans Marianne, fait aussi remarquer qu’ « on ne parle plus d’individus mais de communautés  » : il s’agit d’une « Condamnation qui assume le multiculturalisme comme programme de substitution à l’individualisme occidental » .

L’universitaire Laurent Bouvet pense aussi que « Ces événements pourraient bien marquer, plus encore que les attentats, la fin des illusions du multiculturalisme et, avec lui, de la possibilité même d’envisager une stratégie politique reposant sur l’alliance des minorités partie-prenantes de ce multiculturalisme »

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Je terminerai par l’idée suivante :

Qu’en est-il de la liberté d’expression de l’écrivain ?

Hamidou Anne (l’Afrique des idées) précise : « Critiquer les écrits de Kamel Daoud est un droit. Mais défendre l’écrivain contre une cabale injuste est un devoir. »

L’écrivain Karim Akouche ne dit pas autre chose : « Qui a le droit de juger l’autre ? Qui détient la Vérité ? ... Qui assassine la liberté d’expression ?"

Agnès Perrin, (Egale) va plus loin : elle « évoque les autodafés, les fatwas catholiques lancées contre Voltaire, contre Diderot, contre l’esprit des Lumières , au nom d’un soi-disant respect des cultures. »

L’ universitaire Laurent Bouvet, parle d’«  inquisition  » ! On peut ne pas partager l’analyse de Daoud, mais pourquoi lui reprocher des propos « staliniens », comme si ceux qui le jugeaient étaient supérieurs à lui... (on retrouve les préjugés du spécialiste opposés à l’ « indigène ») .

Fawzia Zouari s’attaque à la gauche, « cette élite qui s’essaie à l’exégèse coranique et cherche la bénédiction de religieux devenus ses principaux interlocuteurs, aux dépens des musulmans laïques réfractaires au rôle de victime » . « C’est d’un nouveau discours dont nous avons besoin de la part de la gauche. Un discours qui ne soit pas opportuniste ni de façade. Qui conçoit le fait que les musulmans puissent aimer ou ne pas aimer leur monde, adhérer ou non à leur religion. »

Pour terminer, je cite à nouveau Pascal Bruckner (Romancier et essayiste) ; il rappelle que Daoud « n’est pas le premier à proposer une telle lecture : de Tahar Ben Jelloun à Fethi Benslama, nombreux sont les écrivains ou psychanalystes, originaires d’Afrique du Nord, à avoir mis en lumière la misère sexuelle, la relégation des femmes, l’interdit de l’homosexualité dans le monde arabe... Il est le seul à avoir appliqué cette analyse aux événements de Cologne... Il s’agit de lui fermer la bouche en l’accusant de racisme. .. »

Comme dit Pascal Bruckner « Avec cette pétition, on n’est pas dans le débat intellectuel, parfaitement légitime,... ».

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En conclusion, je rappellerai que, ces reproches, Daoud les vit très mal. Il parle « de procès stalinien et avec le préjugé du spécialiste : je sermonne un indigène parce que je parle mieux des intérêts des autres indigènes et post-décolonisés.". Il ajoute : « Que des universitaires pétitionnent contre moi aujourd’hui, à cause de ce texte, je trouve cela immoral. » (Il envisage d’abandonner le journalisme )

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Les articles supports de cette réflexion :

Le débat

Il a porté
-  Sur les mots (une fois de plus) : islamophobie qui limite le débat à des référents religieux étrangers à la plupart des citoyens, racisme, un terme qui devrait ne plus être employé, de la complaisance à la compromission …
-  Sur la liberté d’expression (ce sera notre prochain thème d’étude)
-  Sur la liberté de porter un jugement sur une religion sans devoir être agressé (« Laïques en terre d’Islam, taisez-vous ! » de Didier Brisebourg
-  Sur le courage de ce journaliste algérien qui n’a pas quitté son pays malgré la fatwa qui le désigne
-  Sur le statut de la femme dans la plupart des religions et l’islam aujourd’hui
-  Sur la misère sexuelle au Maghreb
-  Sur les stratégies développées au nom de la religion ( la victimisation, la peur, la recherche de « pureté »
-  Sur la difficulté du combat féministe pour l’égalité
-  Sur ce que voudrait dire « choc de cultures » en la circonstance ( que peut bien signifier cette attitude de groupe qui s’est déployée à Cologne – plus de 1500 plaintes ! - et s’était déjà manifestée place Tahrir au Caire ?)
Quelles réponses ?
-  Soutenir ces intellectuels courageux qui s’autorisent à proposer de faire évoluer les pratiques de certains musulmans
-  Séparer plus que jamais les instances religieuses des instances politiques
-  Promouvoir l’esprit critique, ce que préconisent aussi bien des croyants
-  La réserve citoyenne ? Elle n’est pas sollicitée !
- Note : la question de l’immoralité de la réaction n’a pas été débattue
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