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Morale et République 1 - Laïcité Aujourd'hui

Morale et République 1

, popularité : 15%

pour la réunion du 11 avril, par la commission de la L.D.H. (Concarneau - Quimperlé)

MORALE ET REPUBLIQUE
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Tout d’abord, pour s’assurer que notre réflexion ne va pas s ’égarer, commençons par une définition de base : « république » : forme d’organisation politique dans laquelle les détenteurs du pouvoir l’exercent en vertu d’un mandat conféré par le corps social (Grand Larousse). « Tout état régit par des lois sous quelque forme d’administration que ce puisse être : car alors seulement l’intérêt public gouverne, et la chose publique est quelque chose. Tout gouvernement légitime est républicain. » J.J Rousseau.

Cette définition appelle quelques remarques : - si la république est par essence différente de la monarchie, qui tire sa légitimité d’un « droit divin », cette légitimité républicaine dont on nous rebat les oreilles n’est pas forcément synonyme de « démocratie » ; on peut parfaitement gouverner au nom d’un petit nombre – de riches, par exemple, et on est alors dans une « oligarchie » ou une « ploutocratie ». Montesquieu au XVIIIe siècle distinguait déjà deux types de républiques : la « démocratie », « régime libre où le peuple est souverain et sujet. Les représentants sont tirés au sort parmi les citoyens qui sont tous égaux. Elle repose sur les lois de la vertu (dévouement, patriotisme, comportements moraux et austérité, liberté, amour des lois et de l’égalité » ; et « l’aristocratie » « régime qui glisse vers la monarchie et le despotisme. »

D’autre part, l’oligarchie comme la ploutocratie supposent une confusion entre pouvoir politique et financier et une main-mise sur l’information (pouvoir médiatique), et mettent de fait entre parenthèse la morale républicaine, puisque seul compte l’intérêt financier.

La constitution de la Ve République, qui place le président « au-dessus de la mêlée », entraîne également confiscation et confusion des pouvoirs – abus de pouvoir (cf la nomination par le président du directeur des chaînes de télévision publiques, ou des procureurs de la République qui devraient être indépendants). Le peuple - les citoyens – doivent se réapproprier la parole et les actes.

Nous pouvons aussi, pour éclairer notre réflexion, nous tourner vers l’étymologie. Le mot « république » vient du latin « res publica » (la « chose publique »), ce qui suppose du lien social, un contrat, c’est à dire solidarité et entraide. Montesquieu, encore lui, disait que « la monarchie permet des libertés ( tout ce que les lois n’interdisent pas, alors qu’ en république, la morale et le dévouement contraignent les individus.) »

D ’où l’on peut déduire que ce qui prime, c’est l’intérêt général, donc, dans la société, l’assistance envers ceux qui sont dans le besoin, et si c’est dans l’intérêt général, l’existence de services publics (et non l’aide charitable d’une personne envers une autre ou un groupe d’autres – on ne cherche pas son salut, sa rédemption, ou à utiliser de façon profitable et utile sa fortune sur terre, qui sont des notions chrétiennes – catholiques ou protestantes, en tout cas religieuses et en rien républicaine et laïque.)

En effet, cette forme d’ « assistance » pratiquée sous forme de services publics suppose tout au contraire un sens civique – c’est à dire une présence du citoyen au sein de sa cité (si l’on s’en tient à l’étymologie latine, ou au sein de la vie politique, si l’on choisit l’étymologie grecque).

Ce civisme demande à son tour des règles de conduite « citoyennes », dont les limites sont définies par la loi (respect de l’autre, liberté d’expression etc...), et qui distingue ce qui est du domaine public de ce qui est du domaine privé.

Il en découle une « morale » publique - une morale républicaine- qui dessine un ensemble de valeurs communes qui nous unissent, nous définissent, et que nous devons défendre comme un bien
commun – ce qui unit tous ceux qui le font vivre. Ce qui veut dire aussi que c’est une république ouverte, qui accueille et reconnaît tous ceux qui sont sur son sol : reconnaît les mêmes droits aux étrangers (droit de vote aux résidents étrangers par ex), accueille les travailleurs (travailleurs sans papiers, mais aussi droit de travail sans contingentement aux étudiants étrangers), reconnaît les différences (droit de pratiquer sa religion, mais dans une sphère strictement privée et donc obligation de séparer nettement école publique et école privée ou confessionnelle).

Cela suppose une éducation civique et politique commune à tous, donc un devoir d’éducation de la République en direction de son « corps social » qui dégage ces valeurs d’intérêt général.

Le devoir de tout citoyen, quand il constate des dérives dans ces domaines, est de réagir. Les mouvements des Indignés, les révolutions arabes ou, dans un autre registre, la désobéissance civique dans les écoles, montrent que les citoyens sont parfaitement conscients de ce qui peut se tramer pour les déposséder de leurs droits et de leur liberté d’action.

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Venons-en au deuxième terme de notre débat et procédons de la même façon. Selon le Larousse la morale est « l’ensemble des règles de conduite considérées comme bonnes de façon absolue ou découlant d’une certaine conception de la vie ». Pour Platon, elle est fondée sur une raison valable pour tous ; pour Aristote, elle est basée sur l’activité de la raison (et non de l’opinion), et constitue la recherche du bien ; Kant la définit comme valeur morale qui consiste à faire le bien par devoir, qualité commune à tous les hommes : la bonne volonté qui doit obéir à la loi (et ne peut s’appuyer sur les enseignements de l’expérience et/ou des coutumes). Fondée sur les seuls principes de la raison, refusant toute influence de l’intérêt, elle respecte une loi universelle (s’opposant par là au particulier). Selon Hegel, c’est la morale pensée, effective au sein de l’état ; il est impossible de penser la morale sans penser la politique. Enfin pour Marx, « il existe un rapport contradictoire d’aliénation entre morale et économie politique. La relation de l’économie à la morale (…) ne peut être que la relation des lois économiques à la morale. » « Or, la religion, la famille, l’État, le droit, la morale (…) ne sont que des modes particuliers de la production...L’exploitation de l’homme, liée au mode de production capitaliste, entre en contradiction avec le fondement d’une morale universelle (…). »

Ce qui conduit Gramsci à déduire, pour lever la contradiction, que « la morale deviendrait alors une recherche des conditions nécessaires pour la liberté de la volonté dans un certain sens, dans un certain but, et la démonstration que ces conditions existent ».

Il ressort de tout ceci un certain nombre de concepts : la morale, c’est la raison, l’universel, le bien, le gratuit, et elle s’oppose à l’instinct, aux passions, à l’intérêt – tout ce qui est particulier, émotionnel, factuel, contingent.

Examinons maintenant la devise de la République : « Liberté, Égalité, Fraternité ».

« Liberté » d’abord : chacun le sait, la liberté des uns commence où finit celle des autres, comme le dit Sartre – la liberté, c’est avant tout le respect de l’existence de l’autre. Mais actuellement, il ne semble plus y avoir de « droit à » (droit au logement, au travail, aux soins, à vivre décemment), mais des « droits de », confusion démagogique et populiste qui conduit à une politique sécuritaire et/ou à une libéralisation à tout-va (or la libéralisation des marchés n’amène pas à la « liberté économique » : cf les exemples de politique d’austérité imposée à la Grèce de même qu’à la France au nom de la crise ; nous faisons désormais partie de ces fameux « PIGS », dénomination charmante que les vertueux pays du Nord utilisent pour désigner les dispendieux pays du Sud.)

On pourrait aussi parler de la liberté d’expression (cf plus haut à propos de la confusion des pouvoirs).

« Égalité » : au nom de cette libéralisation également, l’égalité est tirée vers le bas, en ce sens que c’est un alignement sur le privé aux dépens du service public – d’ailleurs on parle de plus en plus non pas d’égalité mais d’équité (cf les mesures pour l’assurance maladie et le jour de « carence » par exemple).

De ce ce point de vue, ce qui se passe à l’école est proprement affolant. On ne cesse de parler « d’égalité des chances », mais on constate que l’ascenseur social est bloqué et on crée une école à deux vitesses, en fabriquant de véritables ghettos. On favorise une attitude consommatrice, l’école n’éduque plus, elle « forme à » et les parents attendent tout de l’école, quitte à la décrier lorsqu’elle ne correspond pas à leurs attentes. On démantèle petit à petit l’école républicaine pour la façonner sur un modèle anglo-saxon ultra-libéral où prévaut la morale du « si on veut on peut ». Les enseignants se retrouvent dévalorisés et bien seuls.

Quant à la « Fraternité », il semble que tout soit fait pour dresser les catégories les unes contre les autres aux dépens d’une solidarité nationale – et les peuples les uns contre les autres aux dépens d’une gouvernance fédéraliste de l’Europe par exemple. Le politique se constitue en corps qui fonctionne suivant ses règles (de parti) ; il se dissocie de la société réelle et des actions des associations ( dans le domaine du logement des associations comme Robin des Toits par exemple ou Jeudi noir, le DAL ; dans le domaine de la précarité, Emmaüs, ou les associations laïques et la Ligue des Droits de l’Homme bien entendu) qui représentent la « société civile » (terme par lui-même assez ahurissant), alors que la République doit rassembler et s’adresser à tous dans l’intérêt général. Pour l’instant, il semble que l’on favorise les clivages qui déstabilisent la société et entraînent la dé socialisation de pans entiers de la population.

A ce point de la réflexion, il peut être utile de faire un petit retour historique sur les Républiques précédentes dont nous sommes les héritiers bien sûr, et qui n’ont pas manqué de laisser des traces, surtout la IIIe.

Il est bien évident que dans cette France Une, Indivisible et Laïque la séparation des Églises et de l’État a été une avancée fondamentale ; elle instaurait la séparation des pouvoirs, replaçait le religieux dans la sphère de l’intime et du personnel - donc lui déniait une autorité quelconque sur la société,et plaçait en première ligne l’école républicaine, laïque, libre et gratuite pour tous, pour la défense d’une morale qui ferait pièce à la morale chrétienne jusqu’alors dispensée. Mais il ne faut pas oublier que cette même république a permis une continuation idéologique aussi, la reprise du « grand roman de la France » de Michelet, une « certaine idée de la France » qui a forgé une identité qui va de « nos ancêtre les Gaulois » et Vercingétorix à « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine » et au Père la Victoire, en passant par Jeanne d’Arc, le bon roi Henri et sa poule au pot.

Cette même IIIe République et la IVe qui a suivi ont connu et valorisé le colonialisme et ce qui va avec, la bonne conscience du Blanc et l’affirmation de la supériorité de la culture occidentale, le racisme et la xénophobie. Elles ont créé de grands « trous noirs » aussi : les guerres coloniales, les années 30 et leur antisémitisme, la collaboration. La morale peut être élastique,la République n’a pas toujours été vertueuse et nous vivons sur beaucoup de mythes.

Ce rappel historique a son importance, parce qu’il semble qu’on en revienne maintenant à cette morale de la IIIe République : qui n’a entendu sans frémir le discours de Dakar, qui ne peut que s’indigner des lois mémorielles, qui ne voit, derrière la façade républicaine, une façon de manipuler et d’instrumentaliser l’histoire ( la lettre de Guy Môquet lue dans les écoles !). Mais derrière ce patriotisme-nationalisme affiché, cette recherche obstinée d’une identité « française », il y a une volonté tenace de détricoter tous les principes posés à la Libération dans le programme du Conseil national de la Résistance, - qu’un écrivain récent a qualifié de « nocif et soviétoïde » (Eric Brunet, cité par Laurent Joffrin) et les acquis qu’il a permis.

Face à ce bidouillage de la morale, les gens se sentent perdus (sauf bien sûr la frange conservatrice à laquelle ce discours s’adresse). Dans une société déstabilisée et « clivée », où l’on a recours au bouc émissaire, on leur parle d’unité et de racines ; on fait appel à des valeurs qui ont eu une certaine force, qui ont gardé du poids, mais qui sont en décalage ou qui bafouent leur situation réelle. Cette morale laisse de côté tous les « autres », les « petits, les sans grade », la « France d’en bas », le petit monde ouvrier et employé, les « vrais gens » – il n’est pas jusqu’aux classes moyennes qui se sentent flouées dans cette grande opération de poudre aux yeux.

C’est une morale rétrograde dans l’esprit, qui laisse seuls les gens derrière un discours paternaliste vis-à-vis des défavorisé (morale de l’effort et de « l’équité »).

C’est une morale « privée », qui recourt au religieux (qui a toujours soutenu les régimes autoritaires, liberticides et injustes au prétexte qu’il vaut mieux une injustice qu’un désordre) et donc qui prône l’acte de charité plutôt que la solidarité ; morale du « chacun pour soi » (exit la fraternité), de la personne (et non du citoyen), du salut personnel ( la compétition avant tout, exit l’égalité), de l’initiative privée ( le libéralisme prend la place de la liberté).

On rejoint en cela le monde anglo-saxon de l’initiative capitaliste libérale à forte valeur morale ajoutée – un monde globalisé à la pensée unique...

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Que peut-on conclure de toutes ces remarques et réflexions ?

On ne peut que ressentir le besoin de chacun d’un retour à des comportements moraux plus conformes à notre idéal républicain, mais cela reste encore très confus. Quelle morale ? Comment aller de l’avant en tenant compte de l’évolution indéniable de la société ? Méfions-nous de certaines dérives qui peuvent se faire au nom de la République sous prétexte qu’ elle représente la démocratie. Il faut une extrême vigilance, veiller à garder sa liberté critique et son pouvoir d’action pour ne pas glisser insidieusement dans l’asservissement ou la servitude. Il faudra en tout cas une prise de conscience collective et non une imposition par le « haut ».

Cela entre dans la définition d’un projet de société. Cela sous-tend notre « nouveau pacte pour les droits et la citoyenneté ».

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